Quelques mots sur le prétendu “problème” des dialectes du rromani
Dès que l’on entend prononcer le nom de langue rromani, on peut s’attendre à ce qu’il soit suivi du mot "dialecte, dialecte, dialecte" répété coup sur coup, comme si l’état dialectal était une caractéristique essentielle de cette langue et comme si le rromani, en raison de ses dialectes, était cassé en morceaux comme une vieille cruche. Cette équation quasi-obsessionnelle entre le rromani et un bric-à-brac de dialectes vient tout de suite à l’esprit des gens, qui associent de manière erronée le rromani à une forme rudimentaire et primitive de langue. Il n’est pas rare de lire des allégations du genre : « La langue tsigane a des dialectes. Il n’est pas question de différences phonétiques (comme c’est le cas pour les dialectes roumains), mais de morphologie différente, de vocabulaire différent ». Qu’est-ce qui est réel dans tout ça ? Certes, il y a des dialectes en rromani, mais pas de "morphologie différente" – la morphologie est au contraire étonnamment homogène pour environ 95% des locuteurs de rromani (les exceptions sont celles des Rroms qui sont passés aux langues locales, comme à l’anglais en Angleterre ou à l’espagnol en Espagne). On peut lire encore qu’il existe quatre formes pour exprimer le futur – d'où confusion ! Indépendamment du fait qu’il n’y en a que deux en rromani pour le futur, la langue anglaise en a plus de quatre et ça ne dérange personne ! Bien, on peut lire que le rromani a quatre gérondifs – Mamma mia ! mais en réalité c’est la même forme, juste avec une différence de prononciation de la dernière consonne. La seule chose vraie est que le vocabulaire est quelque peu différent, mais pas plus qu’entre les divers dialectes roumains ou les divers dialectes polonais, anglais ou italiens. En conséquence, de telles allégations sont des mensonges flagrants, même elles sont proférées dans une imitation de style professionnel.
En fait, nous sommes confrontés ici à un grave malentendu, du fait que le mot "dialecte" recouvre deux sens, l’un vulgaire et l’autre scientifique. Le sens vulgaire, qui est aussi le plus répandu, se réfère à une manière de parler qui n’est pas entièrement une langue, mais plutôt un jargon, un argot, une sorte de sous-langue manquant soi-disant de grammaire ou de norme de correction.
En conséquence, cette conception vulgaire et commune de "dialecte" est liée au sentiment qu’il existe, d’une part, ceux qui parlent une Langue et qui sont des humains civilisés et dignes de ce nom et, de l’autre, ceux qui parlent un dialecte et ne sont donc pas des êtres humains aussi "parfaits" que les premiers, mais plutôt des personnes de deuxième classe. Cela explique pourquoi certains idéologues ont tendance à présenter le rromani beaucoup plus comme un ramassis de dialectes, que comme une langue, sans se soucier de la signification scientifique du mot "dialecte", alors qu’en fait, cette notion de "dialecte" est un concept linguistique et dialectologique bien défini, voire un concept technique qui ne reflète aucune hiérarchie en termes de valeur.
Malheureusement, la grande majorité des gens qui utilisent le mot "dialecte", y compris ceux qui proclament des déclarations abruptes sur les "dialectes" du rromani, n’ont pas la moindre idée de ce qu’est un "dialecte" au sens propre du terme. C’est précisément ce que le présent chapitre se propose d’enseigner aux étudiants.
Le terme "dialecte" se réfère dans la réalité à un ensemble de variétés (idiomes, formes vernaculaires) d’une langue donnée qui, ensemble, diffèrent des autres variétés de la même langue de manière suffisamment nette pour constituer une unité cohérente.
Dans le présent cours, nous n’utilisons le mot "dialecte" que dans sa signification strictement scientifique, celle que nous allons exposer ci-dessous, en prenant pour exemple les traits dialectaux de la langue française et en proposant quelques jeux pratiques, ceci avant d’appliquer les notions ainsi acquis à la situation propre du rromani. Il est vrai que la plupart des jeunes de France n’ont plus guère idée des formes dialectales du français rural, mais les mots et les prononciations sont écrits sur les cartes, de sorte qu’ils peuvent faire l’exercice en s’appuyant uniquement sur les données qui y figurent. Ainsi, tout en se préparant à apprendre le rromani, ils vont également acquérir des connaissances sur les formes locales de français vernaculaire et ses richesses.
La première étape pour comprendre le concept même de "dialecte" est de saiser ce qu’est une isoglosse. Nous allons donc acquérir cette notion sur la base des dialectes français avant que de l’essayer de l’appliquer aux dialectes du rromani et pour cela nous allons commencer par un détour chez les Ch’ti... Tout le monde se rappelle la fameuse réplique : « Ils font des [o] à la place des [a], des [k] à la place des [ch] etc... ». En effet, lorsque le français de Paris parle de "vaches" – les Ch’ti (et ce ne sont pas les seuls) parlent de "vaques". Voici la carte du français avec les diverses prononciations du mot désignant le riant bovin.
Niveau 1 : Vache/vaque
Le jeu-exercice que nous proposons ici porte sur l’espace autochtone de la langue française. Il s’agit donc du français proprement dit, à l’exception des zones (en France ou à l’étranger) où il existe une autre langue car les données sont alors modifiée par les parlers locaux, appelés "substrat". Pour connaître la structure dialectale d’une langue – ici le français, des équipes d’enquêteurs dialectologues sillonnent le pays et demandent à des habitants locuteurs natifs le vocable qu’ils utilisent pour désigner tel ou tel concept spécifique dans leur vernaculaire. Ils reportent ensuite les réponses obtenues sur une carte et obtiennent quelque chose comme la carte ci-dessus (qui est bien sûr très simplifiée car elle n’est pas l’objet du cours).
A titre d’exemple nous présentons dans la figure 1 ci-dessus les dénominations retrouvées pour le concept "vache" dans une soixantaine de localités différentes. On voit nettement deux grands types de formes pour désigner la même bête..
Et maintenant nous vous invitons à mettre la main à la pâte et à tracer avec la souris la ligne de partage entre les deux zones dialectales en utilisant le clic gauche et en démarrant à partir du point rouge situé à l’extérieur de la carte. Si à un moment donné vous pensez avoir fait fausse route cliquez sur le bouton en bas à droite pour revenir en arrière. Pour terminer, faites un dernier clic en dehors de la carte de France.
On peut parier que vous avez correctement tracé la ligne et entendu le bip du succès, mais si, par hasard, la ligne n’a pas été bien faite, n’hésitez pas à cliquer sur le bouton "Nouvel essai" au bas de la page pour tenter encore une fois votre chance.
Super ! La ligne imaginaire que vous venez de tracer et qui sépare les zones respectives de vache au sud de vaque au nord s’appelle une isoglosse. C’est le fameux concept d’isoglosse, probablement la notion-clé la plus importante en dialectologie. Cette isoglosse est même si importante dans la langue française qu’elle porte un nom : c’est la "ligne Joret" - du nom du dialectologue français Charles Joret (1829-1914).
Si nous prenons des mots comme mouche, fourche, chien, champ, chien, chêne, chasser, acheter, chèvre, échine etc... du français commun au sud de la ligne Joret, nous les retrouvons sous les formes mouque, fourque, camp, quien, quesne (ou quêne), cachier, acater, quièvre (ou queuvre), esquine (ou équine) etc. au nord. Il y a très largement correspondance, même s’il y a de petites différences de tracé des isoglosses d’un mot à l’autre, car chaque mot a sa propre histoire, liée à l’usage qui en est fait. Prenons par exemple un autre mot de ce même groupe, le mot chaise, et tracez l’isoglosse qui sépare la prononciation ch de la prononciation k. Et comme vous voyez qu’il existe chaire à côté de chaise, tracez cette nouvelle isoglosse en partant du petit carré bleu qui apparaîtra... quitte à sortir de l’espace du français.
Niveau 2 : chaise/caïère/chaire
Comme vous le voyez, l’isoglosse chaise/caïère passe un peu plus au nord que celle de vache/vaque – peut-être parce le commerce de l’objet se faisait du sud vers le nord.
Quoi qu’il en soit, les isoglosses que vous avez tracées jusqu’ici sont phonétiques, car elles séparent des zones dans lesquelles le même mot est prononcé de manière différente.
De nombreuses isoglosses sont lexicales car les divers parlers n’utilisent pas le même mot pour désigner la même chose – prenons l’exemple du ver de terre, appelé dans tout l’Ouest achée. Voici son isoglosse :
Niveau 3 : ver de terre/achée
Nouvel exemple : le coq – dont le nom latin gallus ne s’est conservé que dans deux régions, sous la forme jau (avec variante aspirée jhau locale). Tracez les isoglosses de ce symbole national – en deux étapes !
Niveau 4 : coq/jau/poul(et)
La situation est souvent encore plus complexe, notamment pour les outils d’artisans, les objets du foyer, la faune ou la flore – tout ce dont on parle peu dans la communication entre gens éloignés. La carte suivante est celle de la serpillère mais si vous voulez tracer ses isoglosses, mieux vaut l’imprimez sur papier ! Oui, le rromani a plusieurs mots pour certains objets, mais alors les autres langues ? Le bulgare a 20 mots pour le maïs et 40 pour la pomme de terre (pourtant d’arrivée récente) !
Niveau 5 : serpillère etc...
Encore une petite isoglosse lexicale ? Prenons celle du mot aujourd’hui qui dans bien des lieux se disait anuî du latin ad noctem "jusqu’à la nuit (qui vient, donc aujourd’hui)" et suivez son contour un peu alambiqué...
Niveau 6 : aujourd’hui/anuî
Le mot anuî avait un peu partout supplanté hui, venu du latin hodie (la variante hodieu existe encore en Franche Comté) mais une nouvelle forme, au jour d’hui, semblant plus logique que anuî et plus consistante que hui, apparaît vers Paris et s’étend de proche en proche dans toutes les directions, refoulant la forme ancienne anuî à la périphérie. On appelle ce phénomène "archaïsme périphérique", notion très importante en dialectologie.
Mentionnons encore les isoglosses sémantiques – lorsqu’un mot a des sens différents selon la région, comme par exemple catin qui signifie poupée à l’ouest du pays, et les isoglosses morphologiques – lorsque la différence entre les régions porte sur des formes grammaticales. Tracez par exemple l’isoglosse entre les formes de ils portent avec d’une part celles qui ont une terminaison accentuée en -ont (avec variantes locales -èt’, -int, -ant) et de l’autre celles qui ont aligné leur terminaison sur le singulier porte – en fait, le n et le t ont été ajoutés assez tard à l’écrit par les grammairiens (le pronom ils n’est pas indiqué car lui aussi change beaucoup d’une région à l’autre : i, o, a, al etc... et de manière très différente du verbe lui même).
Niveau 7 : portent etc...
Après cette série de jeux interactifs, le concept d’isoglosse doit maintenant être devenu pour vous une évidence ! Nous pouvons maintenant aller de l’avant et imaginer que nous avons tracé une série de différentes isoglosses, peut-être de nature différente (phonétique, lexicale, grammaticale etc.) sur une seule et même carte géographique. Deux situation se présentent :
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Fig. 8 – schéma 1
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Fig. 8 – schéma 2
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1. soit les isoglosses se croisent plus ou moins au hasard, comme dans le schéma 1, sans aucune zone de densité plus élevée, et dans ce cas, nous avons à faire avec de simples variétés de parlers locaux ou vernaculaires. Cette situation est très fréquente ; on parle alors souvent de "continuum dialectal".
2. soit un nombre important d’isoglosses suivent plus ou moins le même itinéraire et constituent des "faisceaux d’isoglosses" délimitant deux (ou plusieurs) dialectes, chacun de part et d’autre des différents faisceaux, comme les dialectes A, B & C du schéma 2. C’est ainsi qu’en français (langue d’oil) on peut mettre distinguer les dialectes champenois, berrichon, cauchois, picard etc...
Toutes ces considérations conviennent parfaitement aux langues parlées par des populations sédentaires, installées depuis toujours dans un espace géographique donné, où leur langue s’est développée sur place ; dans leur cas, nous pouvons parler de dialectes géographiques ou de géodialectes/géolectes.
Dans la réalité, l’étude de la variation dialectale ne se limite pas à l’aspect géographique, car celui-ci n’est pas le seul à constituer un critère de différenciation. En fait, les facteurs sociaux sont également décisifs ; par exemple, les diverses classes sociales d’un même milieu urbain ne parlent pas de la même manière, mais chacune d’entre elles a son dialecte social dominant, aussi appelé "sociolecte". Ceci est bien plus vrai de nos jours qu’autrefois en milieu rural.
Pour ce qui est de la langue rromani, les différences entre ses variétés vernaculaires sont généralement liées aux groupes ou "tribus" rromes – un concept mieux rendu en rromani par le mot endaj (prononcer "enn’daï"). Le dialecte d’un endaj donné est appelé endaïolecte et ce terme permet d’éviter la confusion créée par la connotation ambiguë et dépréciative du mot "dialecte" dans l’usage populaire. Fondamentalement, un endaïolect n’est pas lié à un territoire géographique, du fait que de nombreux Rroms ont été en mouvement une bonne partie de leur histoire et que la langue rromani s’est développée partiellement dans une situation de mobilité. Toutes ces observations nous conduisent à la nécessité d’utiliser, dans notre étude de la dialectologie rromani, une méthodologie soigneusement adaptée.
Un point essentiel à cet égard est la hiérarchisation des différences dialectales ou, en d’autres termes, des isoglosses. Ce serait en effet une erreur de traiter sur un pied d’égalité d’une part une évolution de son anodine et sans signification, produite par un phénomène phonétique banal et répandu dans le monde entier, et d’autre part une évolution locale exceptionnelle, caractérisant spécifiquement une langue donnée et ne pouvant être rencontrée que très rarement dans d’autres langues.
Comme exemple d’évolution phonétique anodin, mentionnons la fermeture de o en u, qui se produit dans beaucoup de langues très différentes : en grec moderne (en particulier dans le nord: konopi > kunupi "moustique", koritzi > kuritz "fille"), en polonais (krowa > krów [kruf] "vache, des vaches", może > mógł [mug] "pouvoir, il pouvait"), français et roumain (latin morire > français mourir, roumain a muri "mourir"), en roumain (latin quomo[do] ? > cum? "comment"), en turc dialectal (bol > bul "beaucoup") etc. De même, la transformation de k devant i ou e se retrouve dans pratiquement toutes les familles de langues, par exemple les langues romanes – comme entre autres roumain (plakere > placere "plaire" – et donc local rromani plaćal, plaćil "id.") ou grec dialectal (kiriaki > chiriachi "appartenant au Seigneur, dimanche") mais aussi beaucoup d’autres langues d’Afrique et d’Amérique.
La recherche dialectologique en rromani a montré que l’isoglosse-clé pour la classification des parlers vernaculaires (endaïolectes) est celle qui sépare d’une part les endaïolectes présentant la voyelle "o" dans la terminaison de la première personne du singulier du passé des verbes (et présent de la copula) et d’autre part ceux présentant la voyelle "e" dans les mêmes terminaisons, à savoir les formes rendant par exemple "j’ai marché" qui sont phirdom (avec les variétés phirdum, phirdʲom ou phirdʲum) dans le premier cas et phirdem dans le second. Si nous imaginons un "pays rrom" avec un certain nombre de villages et leurs parlers vernaculaires spécifiques, comme représenté par la figure 9, il sera extrêmement facile de tracer l’isogloss o/e entre les deux séries de formes dialectales de terminaisons. Alors au travail, prenez la souris et tracez cette isogloss sur la figure 9... Il n’y a pas de niveau de difficulté car l’opération est vraiment très simple. Ce qui a été dit de phirdom/phirdem est valable pour tout autre verbe: dikhlom/dikhlem "j’ai vu", phendom/phendem "j’ai dit" etc. Dans un endroit où les gens disent phirdem, on ne peut entendre que dikhlem et phendem, et inversement .
Fig. 9 phirdom/phirdem
Vous avez maintenant saisi comment une isoglosse peut traverser un territoire où une langue est parlée, délimitant les deux zones correspondant aux deux types de prononciation d’un élément spécifique donné : dans le cas présent, la terminaison de la première personne du singulier du passé (ou du présent de la copule), à savoir phirdom versus phirdem. Cette isoglosse délimite aussi la limite entre la zone où "je suis" est prononcée avec o (ou u): sinom, som, hom, hinum, sium etc. et la zone dans laquelle il est prononcé avec e (ou i): sem, sim.
L’isoglosse o/e a une importante toute particulière en rromani, du fait qu’elle correspond à plusieurs autres isoglosses, parmi lesquels on peut citer:
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Zone O
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Zone E
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pluriel de l’article déefini
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o
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e, le
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Négation dans la phrase à l’indicatif
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na
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ni, ći
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Numéraux de type "22"
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biśuduj
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biśthajduj
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Vocabulaire rromani "il/elle glisse"
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puzgal
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istral
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Vocabulaire rrom/emprunté "il/elle vit"
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ʒivel
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trail
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etc...
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Il existe une douzaine d’autres traits dialectaux, qui forment ensemble un faisceau de près de 12 isoglosses et définissent clairement les deux superdialectes de la langue rromani, à savoir le superdialecte O et le superdialecte E, comme le montre la carte que vous venez de compléter avec l’isoglosse o/e (figure 9).
Une autre isoglosse rromani majeure a résulté de l’évolution de deux sons qui, dans une série de parlers vernaculaires, ont subi une "mutation" et ont donné naissance à deux nouveaux sons que vous puvez entendre en cliquant sur les flèches du tableau suivant:
w
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du mot
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w
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a évolué en
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w
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donnant
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w
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adică "couteau"
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w
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du mot
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w
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a évolué en
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w
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donnant
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w
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adică "langue"
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w
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du mot
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w
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a évolué en
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w
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donnant
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w
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adică "garçon, fils"
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w
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du mot
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w
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a évolué en
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donnant
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adică "il/elle sait"
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w
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du mot
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w
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a évolué en
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w
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donnant
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w
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adică "avoine"
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w
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du mot
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w
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a évolué en
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w
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donnant
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w
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adică "honte"
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Cette évolution est à l’origine d’une isoglosse dite "de la mutation", laquelle délimite elle aussi deux zones avec deux types de prononciation dans notre "pays rrom imaginaire". Cette mutation est totalement cohérente, ce qui signifie que sa ligne est exactement la même que les lignes de séparation pouvant être tracées pour les autres mots présentant cette même mutation, à savoir "langue", "fils, enfant rrom", "il/ elle sait" etc. (voir tableau ci-dessus).
Afin de vous aider à mieux comprendre le système dialectal du rromani, structuré par ces deux isoglosses, nous vous invitons à un petit voyage dans le "pays rrom imaginaire", emporté par votre souris : si vous la déplacez sur chaque symbole de haut-parleur, un par un, vous entendrez la prononciation locale du verbe rromani signifiant "je suis resté".
Fig. 10
La combinaison de ces deux isoglosses qui se croisent crée quatre zones, qui correspondent plus ou moins à l’expansion actuelle des quatre dialectes rroms respectifs, à savoir d’une part la partie supérieure avec le superdialecte E, elle-même divisée plus ou moins par moitié en variétés sans mutation et avec mutation, et de l’autre la partie inférieure avec le superdialecte O, également divisé en un nombre dominant de dialectes sans mutation et un petit groupe de dialectes à mutation.
Le schéma 10 montre en conséquence la distribution et les proportions des quatre dialectes de base, nommés et abrégés comme suit:
Superdialecte O sans mutation : O-bi (bi -qo signifie "sans" en rromani)
Superdialecte O avec mutation : O-mu (mu = from "mutation")
Superdialecte E sans mutation : E-bi
Superdialecte E avec mutation : E-mu.
En fait, cette situation claire et évidente est celle des langues dont les locuteurs ont vécu de manière sédentaire pendant toute la durée de leur histoire dans l’espace européen, comme dans le cas des des isoglosses 1-7 ci-dessus du français. Au contraire, pour le rromani c’est une fiction, car la population qui a parlé et parle cette langue a beaucoup voyagé durant les premiers siècles de son histoire européenne et ses quatre dialectes se sont répandus sur tout le continent (et au-delà) comme le montre l’animation ci-dessous (fig.11):
Fig. 11
L’animation de la figure 11 montre la répartition des endaïolectes de type O et E, sans et avec mutation, dans l’état où ils étaient dans la première moitié du XIXe siècle, à savoir avant les grands mouvements de la population rromani après 1850, qui ont perturbé la répartition dialectale, tout particulièrement du dialecte E-mu, lequel s’est aau cours des temps répandu en Russie, en Scandinavie, en Europe de l’Ouest et aux Amériques – discrètement suivi par d’autres groupes.
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
(pour ceux qui souhaitent en savoir plus)
Après l’arrivée des Rroms en Europe et leur dispersion initiale dans une grande partie du continent (XIV-XVIème s.), leurs groupes s’implantent sur une vaste zone des Balkans au nord de l’Europe mais ceux qui arrivent en Occident gardent une certaine mobilité (souvent forcée par des évictions). Par la suite on observe un nouveau mouvement partiel de migration (surtout après 1850). Du point de vue dialectologique, cela signifie que:
a) les traits dialectaux les plus anciens sont présents sur pratiquement tout le continent, où ils coexistent dans plus ou moins les mêmes zones que des parlers plus innovateurs (comme par exemple l’isoglosse o/e et la douzaine d’autres isoglosses qui l’accompagnent, en raison des migrations initiales;
b) les différences dialectales qui se sont formées plus tard, à savoir après la large fixation des Rroms dans toute l’Europe de l’Est, ont un caractère géographique évident, comme par exemple:
- la terminaison du passé passif, à la 3-ème personne du singulier (masculin -o, féminin -i), comme dans "il/elle a été fait(e), il/elle a été battu(e)": masc. kerdilo, mardilo, fem. kerdili, mardili. Ces formes se rencontre principalement en Europe du Sud, alors que kerdilǎs, mardilăs pour les deux genres prévaut dans le nord;
- la création d’un infinitif, mode qui n’existe pas en rromani commun, mais qui a été inventé dans certaines parties de l’Europe centrale et septentrionale sous l’influence de langues de contact, lesquelles disposent d’un infinitif : mangav te-piel ( litt. *je veux qu’il boive) signifiant mangav te piav "je veux boire";
- l’introduction de particules péri-verbales, en particulier dans les régions slaves, hongroises et germaniques, soit par simple emprunt : rosphenav "je raconte" < slave ros- + phenav "dire", soit par calque : asal avri "se moquer de" < all . auslachen avec les correspondances avri = aus "hors" et asal = lachen "rire" (ces constructions sont décrites dans la grammaire);
- la perte de l’article défini, dans les zones où la langue majoritaire locale ne possède pas ce genre de mots;
- la perte de vocabulaire, sous l’influence des langues locales dans une zone définie, car il n’est pas rare que ces dernièrss (au moins dans l’usage populaire, celui auquel les Rroms sont exposés) soient plus pauvres que le rromani dans certains domaines.
Période historique
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Type de traits concernés
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A. initiale d’arrivée en Europe et première dispersion
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XIV-XV-XVI
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e/o, formes longue et courte de la possession (dadesqoro/dadesqo), mutation etc...
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B. intermédiaire de stabilité
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1500-1850
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-o/-ǎs au passé médio-passif, infinitif secondaire. perte de l’article etc...
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C. moderne et contemporaine (nouveaux mouvements)
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après 1850
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diverses innovations, souvent limitées géographiquement
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La première série de différenciations dialectales (A) ne peut pas être représentée sur une carte de l’Europe puisqu’on les trouve dans les différents groupes rroms ici et là. La deuxième série (B) a une base géographique large et la troisième série (C) une portée territoriale beaucoup plus restreinte – puisqu’elle correspond à une nouvelle vague de dispersion de groupes moins importants à l’échelle européenne due aux migrations récentes.
La langue rromani, sous sa forme originale, a été héritée par 88-90% de tous les Rroms en Europe, mais il existe des groupes qui l’ont perdue, en totalité ou presque. Par exemple, suite à 400 années de persécution impitoyable, les Rroms de la péninsule ibérique, également connus sous le nom de Gitans, ont abandonné leur langue ancestrale comme idiome de tous les jours, mais les adultes ont continué à l’utiliser au travail, et du coup les jeunes pouvaient acquérir un peu de rromani dans les contacts professionnels avec les anciens : quelques dizaines de mots, mais sans les formes ou structures grammaticales, ce qui a produit des idiomes appelés kalé (pluriel de kaló) et qui sont l’héritage de près de 8-10% des Rroms en Europe. Un kaló similaire, appelé localement paggerdi jib ou angloromani s’est formé dans les Îles Britanniques et il constitue avec les kalé de la péninsule ibérique un groupe d’idiomes appelés paggerdilectes ou "branche atlantique".
Un autre groupe, beaucoup plus petit, n’a pas perdu le rromani d’une manière aussi brutale, mais des contacts intensifs avec les populations rurales de langue allemande puis françaises et un très long isolement d’avec les autres Rroms, a érodé peu à peu l’élément rromani (vocabulaire, grammaire). Ces formes vernaculaires s’appellent sinté en Allemagne et manuś (mânouches) en France, ce qui représente environ 2-3% de tous les Rroms. Leur vocabulaire rromani est relativement plus riche que celui des Gitanos, avec quelques centaines de mots ; on les appelle "parlers périphériques". Il existe des formes de sintó en Italie et Provence, mais ils ne sont pas directement rattachables à celles d’Allemagne, d’Autriche et de France
Nous devons cependant replacer dans une perspective plus cohérente la confusion apparente qui pourrait ressortir du tableau ci-dessus. En effet, seul un nombre relativement restreint de traits dialectaux spécifiques se sont déplacés d’un point à un autre et aujourd’hui, du fait de l’évolution et des mouvements intervenus dans l’histoire récente, la distribution des variétés de rromani correspond à la carte ci-dessous :
- distribution des superdialectes O [en vert] / E [en bleu] et des dialectes avec ou sans mutation, symbolisés respectivement par une couleur plus claire ou plus foncée;
- répartition géographique des caractères dans la période intermédiaire;
- dispersion vers l’ouest des idiomes périphériques et des paggerdilectes:
Fig. 12 Le système dialectal du rromani en Europe
Il est donc clair que la structure géographique des variétés dialectales du rromani n’est pas si complexe qu’on peut le lire dans la plupart des publications... Nous ne sommes pas en face de multiples dialectes juxtaposés comme les morceaux d’une mosaïque, sans communication entre eux, mais avec un vaste système linguistique, certes étendu mais unique. Ce macro-système est structuré par une logique interne puissante tout en présentant un certain nombre de spécificités très locales.
Pour résumer, on peut distinguer quatre types de différenciations parmi les parlers rroms :
a) une stricte division de type classique en quatre dialectes, initialement fondée sur deux isoglosses (frontières dialectales) essentielles qui se croisent :
- le contratse o/e (accompagné de quelque 12 autres contrastes, y compris des différences dans le lexique);
- le contraste de mutation.
On doit ajouter à cela des différenciations plus tardives, comme celles mentionnées plus haut :
- le contraste dans la terminaison du passé passif -o/-i vis-à-vis de -ǎs ;
- la création d’un infinitif secondaire ;
- l’intégration de particules périverbales ;
- la perte de l’article dans certains pays etc.
La plupart du temps, de telles différences n’entravent pas vraiment l’intercompréhension entre les locuteurs et donc n’affectent pas l’unité de la langue : la distinction entre les superdialectes O et E se réfère seulement à un petit segment de la langue (en gros une terminaison verbale et le pluriel de l’article), alors que la mutation n’est pas toujours identifiée par l’oreille, surtout dans une situation de communication publique avec bruit de fond. De plus, les deux traits sont rigoureusement systématiques et le cerveau de l’auditeur s’habitue facilement à surmonter cet obstacle mineur.
b) à ceci s’ajoute un niveau de divergence sociolinguistique, avec deux grands types de scénarios conduisant à la formation d’idiomes périphériques et de paggerdilectes (voir ci-dessus). Leurs utilisateurs ne sont pas nombreux (environ 10% du nombre total de Rroms) et par conséquent l’unité de la langue n’est pas grandement affectée par leur existence. De plus, beaucoup de Rroms de ces groupes ont commencé à apprendre le rromani et le présent site contribuera sans nul doute à les aider dans cette entreprise.
c) on observe en outre un niveau de perte locale ou régionale d’éléments lexicaux (auquel il faut ajouter un manque évident de développement de certains domaines de vocabulaire, en raison de l’histoire des conditions de vie des Rroms : osmose durable avec certaines langues rurales environnantes, plus pauvres que le rromani, marginalisation géo-sociale flagrante, etc.) En fait, la perte ne concerne pas la langue elle-même, en tant que telle, mais la manière concrète dont elle est parlée dans certaines régions. On peut observer ce genre d’évolution dans n’importe quelle langue de la diaspora, souvent beaucoup plus encore qu’en rromani, resté étonnamment vivant après mille ans d’exode et de dispersion. Ici, un effort didactique bien planifié visant à renflouer la langue et compléter son vocabulaire, dans un contexte de valorisation psychologique et sociale du langage en tant que tel, peut compenser efficacement les pertes en restituant ses richesses lexicales héritées et en résolvant naturellement le problème, comme c’est le cas pour n’importe quelle autre langue minoritaire. Quoi qu’il en soit, le point c) constitue le principal obstacle pour une communication efficace entre les Rroms de différentes origines et donc d’endaïolectes maternels divers.
d) enfin il existe quelques décalages lexicaux ponctuels, impliquant un petit nombre de diasynonymes: korr/men "cou", gilabel/bagal "chanter", etc ... Ceci non plus n’est pas un problème, mais plutôt un atout, une richesse à partager entre les locuteurs rroms de différentes origines, de manière similaire à la façon dont le vocabulaire de l’espagnol ou de l’anglais sont enrichis sans cesse par des diasynonymes provenant de tous les pays où ces langues sont utilisées.
En conclusion, nous constatons que la soi-disant "disparité dialectale" de la langue rromani devrait être renommée "disparité de l’oubli", parce que le problème de la communication ne réside pas dans les différences dialectales en tant que telles mais dans ce qui a été oublié. En conséquence, deux Rroms porteurs d’endaïolectes différents, mais chacun ayant une bonne connaissance pratique de son parler maternelle, se comprennent mutuellement, chacun parlant sa propre variété vernaculaire, bien mieux que deux Rroms de même dialecte, mais qui ne maîtrisent plus leur langue maternelle à un niveau suffisant. Ceci est lié au fait que l’élément central rromani (d’origine asiatique et grecque d’Asie Mineure) est remarquablement uniforme dans tous les dialectes, ce qui prouve par ailleurs l’unicité originelle de la langue des ancêtres indiens des Rroms.
Les personnes qui ne connaissent pas la dialectologie – et qui de plus n’ont pas suivi tous les niveaux d’isoglosses présentés ci-dessus, croient souvent que ceux qui ont perdu (oublié) une partie de leur langue maternelle et substituent des emprunts à l’élément perdu créent un nouveau dialecte, alors qu’en réalité ils font simplement usage que d’un langage déficient. Pour cette raison, les chaînes de télévision de la plupart des pays ayant une diaspora importante (roumaine, polonaise, grecque, etc.) diffusent des programmes spécifiques pour compenser l’érosion des langues à travers une stratégie éducative adaptée. C’est aussi le but du présent site didactique pour les Rroms.
Il est clair que si des locuteurs du même endaïolecte vivent dans deux pays séparés par une frontière politique et linguistique (comme les langues majoritaires X et X ’sur la figure 13), leur parler empruntera des mots différents tirés des langues majoritaires des pays en question, mais ils ne constitueront nullement deux nouveaux dialectes... Inversement, si deux ou plusieurs endaïolectes d’origines différentes coexistent dans un pays donné (comme dans le cas des parlers a, b et c de la figure 13) et chacun d’entre eux emprunte les mêmes mots à la langue locale dominante, cela ne signifiera pas qu’ils ont fusionné en un seul "dialecte", comme pourrait s’y attendre quiconque ignore ce qu’est réellement un dialecte, d’un point de vue scientifique.
Fig. 13
La comparaison suivante peut être utilisée pour expliciter le système de la langue rromani d’une manière plus claire :
- le noyau de la langue est fondamentalement le même pour tous les endaïolectes, tout comme le corps humain est essentiellement le même pour tous (par conséquent, les termes d’anatomie sont plus ou moins les mêmes dans toutes les variétés de rromani, puisqu’ils se réfèrent à des concepts naturels largement communs) ;
- les mots d’emprunt européens en rromani diffèrent entre groupes rroms, tout comme les vêtements diffèrent d’un pays à l’autre, en conséquence de quoi les termes se référant à la vie de type européen (vêtements, institutions, nourriture etc.) diffèrent également entre les Rroms, du fait qu’ils se réfèrent à des concepts artificiels ;
- lorsqu’un mot rromani ancien a été perdu, il est remplacé en règle générale localement par un mot emprunté, de même qu’un membre amputé peut être remplacé par une prothèse, en bois, plastique ou tout autre matériel artificiel ; mais ceci n’est nullement un modèle enviable de vie ;
- enfin lorsqu’un autre endaïolecte peut fournir le ou les mots manquants, cette solution doit être acceptée, puisqu’elle est préférable à toute autre, un peu comme la transplantation d’une plante vaut mieux qu'une fleur artificielle.
Les divers parlers du rromani proprement dit sont représentés dans le tableau suivant, qui donne aussi les symboles trilittères servant à les taguer, niveau par niveau : langue, superdialecte, dialecte et sublectes du dialecte O sans mutation :
Fig. 14
Si l'on ajoute les paggerdialectes et parlers périphériques (sur fond gris), pour la plupart éteints ou presque, on a le tableau suivant :
CONCLUSION
De ce qui précède, il ressort qu'il est hautement souhaitable que le vocabulaire rromani commun, rassemblé sur plusieurs décennies dans toute l’Europe et trié selon les règles phonologiques et grammaticales des différents dialectes, soit remis en circulation, utilisé largement dans la vie publique, principalement à l’école et dans les médias, et enseigné à ceux qui l’ont oublié. Il n’y a aucune raison réelle de prétendre que la langue rromani diffère de manière significative des autres langues européennes, en ce qui concerne sa division dialectale et son développement moderne. Or c'est ce qu'ont fait avec succès en leur temps ces diverses langues qui font aujourd'hui (anuî !) la grandeur de l'Europe.